Journal photo

Imik Simik: l’escalade de bloc, petit à petit

J’ai rédigé cet article en 2019 suite à un voyage de trois mois au Maroc réalisé la même année de mars à mai. Trois mois improvisés, dont une grosse semaine à faire du bloc sur un spot incroyable dans les montagnes du Haut-Atlas. À la suite de ce séjour, Keoma Jacob, l’organisateur de ce trip de grimpe, m’a proposé d’écrire un article destiné à être publié sur un média dédié à l’escalade pour les femmes. L’article n’a jamais été publié, j’ai donc décidé aujourd’hui de le publier ici, accompagné de mes photos. De beaux souvenirs que je suis heureuse de partager enfin.

Leçon de bloc.

Avril 2019. Je suis au Maroc depuis déjà un mois, et j’ai eu la belle idée d’emporter mes chaussons et mon baudrier, juste au cas où. Ma pratique de l’escalade avant mon départ se cantonnait à deux ou trois sorties hebdomadaires en intérieur depuis un peu plus d’un an. Et si c’est une pratique sportive qui soigne mon mental, c’est aussi l’occasion de mettre quelques tatanes dans la face de la gente masculine. Tiens, Homme, avec tes gros muscles, prends ça dans ta tête! Moi, Femme, je t’aligne avec mes petits biscottos. On dirait pas comme ça, hein! J’ai grimpé trois heures solo dans la salle d’escalade, et alors ? Je fais ce que je veux, je suis une femme in-dé-pen-dante. Allez, salut ! … En réalité, je n’ai jamais entendu le mot «bouldering». «Bloc», en anglais, ça doit se dire «block», non ? Je suis du genre novice. De la vraie falaise, j’en ai tâté un peu il y a quelques années. Mais du bloc, du vrai caillou, jamais !

Je suis à Marrakech et me voilà embarquée dans la voiture de Michael et Harry. Je ne les connais pas encore, mais je sais que nous allons passer près de deux semaines ensemble dans un chalet en pleine montagne. Et qu’à la fin de ce séjour, ces deux rigolos seront probablement mes copains. Avec leur petite caisse de location, on passe de la vallée de l’Ourika à la route de montagne sinueuse qui mène au village de Oukaïmeden à près de 3000 mètres d’altitude dans le Haut-Atlas. La musique qui passe à la radio est bien pourrie, mais les paysages qu’on traverse ont l’avantage d’avoir de la gueule. Je suis loin de me douter que je vais passer une semaine des plus marquantes de mon voyage. 

Escalade au Maroc dans le Haut Atlas. Grimpeurs avec des crashpads, pendant le trip de Imik Simik près de Marrakech.

Si je suis dans cette voiture aujourd’hui, c’est que j’ai ouï dire qu’un «trip» se prépare, organisé par un certain Keoma Jacobs. Le projet s’appelle Imiksimik: Petit à petit, en berbère. L’idée: pendant un mois entier, un chalet est mis à disposition pour accueillir une vingtaine de grimpeurs. Tu viens quand tu veux, et tu kiffes.

J’habite Paris, et non, je n’ai pas encore eu l’occasion d’apprécier la chance d’habiter à deux pas de Fontainebleau. Et à voir les regards choqués de ces allemands, néerlandais, hongrois et autres britanniques, rencontrés à Oukaïmeden et qui sont prêts à se taper des heures et des heures de trajet rien que pour aller tripoter du granit à «Font», il faut croire que j’ai raté ma vie.

Heureusement, Imiksimik m’offre l’occasion de me rattraper à Oukaïmeden. Et quelle occasion! Je suis au Maroc, dans le Haut-Atlas, les paysages sont à couper le souffle, les blocs s’étendent à perte de vue, on grimpe en pleine nature. 

Pourtant au départ j’ai quelques barrières mentales. Je n’ai jamais grimpé en extérieur, et à tous les coups, il n’y aura que des mecs super fortiches, et je vais être nulle. Et puis, et puis… et puis mes trois mois de voyage, à quoi servent-ils, si ce n’est à sortir de ma zone de confort ? Je ne suis malheureusement pas surprise de me compter parmi les cinq femmes sur la vingtaine de participants. Mais se la jouer solo en escalade, c’est aussi progresser moins vite: ce n’est pas une question de genre. Alors j’observe, et dans ma tête, ça fuse:  je m’aperçois que grimper peut être un style de vie et une gymnastique de l’esprit. J’apprends. On voyage pour tâter du bloc et on résout des «problèmes» de bloc, comme on chercherait à résoudre les problèmes de sa vie. Pour certain, ça pourrait passer pour une obsession, un choix de vie. Je suis impressionnée. En fait, l’escalade, pour de vrai, c’est ça? J’en veux plus! 

Il est curieux de se retrouver au bout de cette route de montagne, avec des hommes et des femmes qui s’amusent à grimper de la caillasse, à vivre ensemble, à partager une même passion. Dans un village du Haut-Atlas où seuls les hommes marocains paraissent avoir établi leur QG. Les femmes marocaines, à Oukaïmeden? Un grand mystère. En une semaine, les seules femmes que j’ai croisées sont des grimpeuses, européennes. Ici, l’activité la plus rentable après la saison de ski est celle générée par les nombreux cafés et restaurants, tenus exclusivement par des hommes… Si la grimpe est soumise à des aprioris genrés, l’affaire des femmes au Maroc, elle, est une toute autre histoire…

J’ai été surprise de voir combien d’énergie j’étais capable de rassembler en une semaine, bien plus qu’en un an dans une salle d’escalade. Je me suis même demandée d’où cela pouvait bien sortir. Parce que grimper en extérieur est bien plus difficile, parfois terrifiant, et aussi physiquement douloureux: les mains et les doigts s’écharpent, et grimper tous les jours met le corps à l’épreuve. Et puis il y a ce fabuleux esprit d’équipe. Ces doux encouragements, ces silences concentrés, ces longues discussions en fin de journée à propos de nos «projets». Ces «Give me 5!», ces clins d’œils de réussite, ces cris de joie après une première ascension, ces morning sessions, et puis les troupeaux de chèvres, les parties de cartes le soir après un bon dîner, les tablettes de chocolat aux amandes, les omelettes quotidiennes de notre ami Karim, les balades à 3000 mètres d’altitude…

Notre trip s’est terminé en beauté avec le Oukboulderfest. Ce festival, organisé pour la deuxième fois par Climb Morocco et Imik’simik, rassemblait une grosse cinquantaine de participants européens. Participer à ma première compétition de bloc, à l’ambiance bon enfant, et même si j’étais assez fatiguée par mon intense semaine, m’a rendu tout aussi enthousiaste. 

Les deux rigolos du début ? Mes amis. Mes bras ? Complètement foutus. Mon moral ? Au plus haut. Et depuis mon retour, j’ai réussi ma vie: je suis enfin allée grimper à Fontainebleau !

Encore plus de lecture