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Le Rucher du Presbytère

« Tiens, voici ton habit de lumière! »

Ce sont à peu près les premiers mots que Sébastien Fiastre, apiculteur à Saint-Alban-des-Hurtières, m’a dit en me tendant une vareuse de couleur jaune. Je l’ai enfilé, mais mon legging noir ne m’a pas beaucoup protégé. À peine je me suis penché avec l’enfumoir sur l’une des ruches, qu’une abeille me pique à la cuisse. Souvenirs d’enfance! J’avais oublié cette sensation. « Ha oui, j’ai oublié de te préciser, les abeilles n’aiment pas le noir. » Depuis, j’enfile un pantalon blanc en coton très large, dont j’attache le bas aux chaussettes pour être tranquille.

Depuis que je suis toute petite, je viens ici pendant les vacances: mes grands-parents ont acheté une maison du chef-lieu il y a près de vingt-cinq ans. C’est « Saint-Alban », le village de mon enfance. Pour moi, « aller à Saint-Alban » signifiait simplement passer les vacances dans cette « grosse maison » en face de l’église, avec un jardin plein de cachettes pour s’inventer des histoires. Mon univers se limitait à ce jardin, la ruelle de derrière pour faire du vélo, l’église pour aller à la messe de Noël avec Bon Papa et Bonne Maman, le Col du Grand Cucheron et le lac des grenouilles, et la maison de derrière qu’on s’amusait à épier à travers la fenêtre de la salle-de-bain. Derrière l’église se trouvait « la maison abandonnée »: le presbytère. Je me souviens d’un bâtiment effrayant, d’une maison cachée derrière des broussailles. Mais quand je vois ce que Sébastien en a fait aujourd’hui, j’ai du mal à connecter l’image de ce petit paradis avec celle que j’en ai d’autrefois. Probablement un fantasme de gosse, cette maison pleine de fantôme, car Sébastien n’a pas souvenir d’avoir acheté une ruine hantée!

Il vit avec Juliette qui s’occupe des brebis. À eux deux, ils ont Chacha (le chat), les chiens Gigi et Kaya, Kiki la brebis naine, son petit agneau (qui boit au biberon) des oies (qui font des œufs aux jaunes gigantesques), des poules (dont la moitié s’est fait bouffer par le renard la nuit dernière), des petits poussins ado (l’âge ingrat, quand tu peux pas pécho tellement t’es laid, avec ton cou sans plume). Et puis les « trois nains » comme les appelle Juliette en riant: Lilou, Louison et Zélia, les trois enfants qui font assidument l’école à la maison.

Ainsi, cela fait déjà dix ans que Sébastien s’y est installé avec son rucher, et que je suis passée à côté. L’apiculture m’a toujours fasciné, mais je n’avais pas encore osé pousser la porte d’un passionné. L’année dernière, je l’avais contacté pour savoir s’il était possible de venir passer quelques jours chez lui en échange d’un coup de main. Forcément, on s’est raté avec le confinement. Mais cette année, j’ai réussi à dégager du temps. Paris c’est pesant, me voilà donc à la montagne!

Je suis arrivée jeudi et j’ai plongé dans le bain dès mon arrivée. Il m’explique tout ce qu’il fait ici, comment ça fonctionne, le cycle de vie d’une abeille, les différentes espèces, comment créer un essaim,… tout ceci est très dense et d’une certaine complexité: je commence doucement à assimiler.

Sébastien fait donc du miel avec ses propres ruches, et fait également de l’élevage, destiné à la vente d’essaims pour les particuliers. Pour l’élevage, Sébastien élève « une bonne mémère » comme il l’appelle. C’est une abeille reine « pure-race », une Buckfast, qui vient d’un élevage spécialisé. Elle débarque par la poste dans sa petite boîte, et cette reine-là, qui coûte une petite fortune, permettra de donner naissance à de bonnes abeilles qui pourront à leur tour devenir des supers-reines pour donner de supers-ruches. En gros, c’est ça. Comment la reine peut-elle être une pure race? Tout simplement parce qu’elle vient d’une île, où on ne trouve qu’une seule espèce d’abeille.

Vous vous demandez comment fonctionne l’élevage de supers-reines? On prélève un cadre de la ruche de la « super-mémère », tout construit avec des alvéoles en cire, à condition qu’elles contiennent des larves de moins de 24h. Puis, avec un petit outil qu’on appelle un picking chinois, on prélève les larves dans les alvéoles une par une. Elle font 1mm de long, autant vous dire que c’est du travail de précision, avec lampe frontale et lunettes-loupes. Ces larves, on les dispose dans une rangée de « cellules » en plastique, dont le diamètre correspond exactement au diamètre d’une alvéole pour reine, plus grosses que les alvéoles pour abeilles « classiques ». Cette rangée de cellules, on la cale ensuite dans une autre ruche orpheline, c’est-à-dire sans reine. Ainsi, les abeilles vont se précipiter sur ces cellules de reine, pour nourrir toutes les larves à la gelée royale. À l’issue de ce processus, on peut espérer que les reines aient bien survécu. Puis, on les récupère et on les introduit dans une ruche orpheline.

Après avoir fait la petite cuisine avec nos supers-larves de supers-reines, nous faisons un tour dehors auprès des ruches. L’objectif est de regarder si les reines pondent correctement, si les abeilles sont en forme, s’il faut ajouter des cadres ou les changer de place. Toute une petite tambouille d’apiculteur, une maintenance quasi-quotidienne pour s’assurer de la bonne santé des essaims et garantir une bonne production de miel.

Sébastien joue avec les saisons et les floraisons des arbres. Ainsi, pour s’assurer qu’un miel proviendra bien du nectar des fleurs de tilleuls ou de châtaigners, il faut bien connaître les arbres autour du rucher et les dates à laquelle les fleurs éclosent, et bien sûr prélever les hausses pleines de miel dès que les floraisons changent pour en mettre de nouvelles. Une version plus traditionnelle serait d’empiler les hausses au fur et mesure et de faire une seule récolte en fin de saison: voilà d’où provient le « miel toute fleurs ».

Hier soir, on partait après le dîner pour faire une « transhumance ». Il faut attendre que les abeilles dorment, avec la nuit et les températures qui baissent. On ferme les ruches à l’aide d’un petit clapet en plastique en évitant de trop les bousculer, puis on met les ruches dans la voiture et on les déplace à un autre endroit. Il faut déplacer les ruches à plus de 3km à chaque fois, car sinon les abeilles reviennent au point précédent. Sébastien me raconte la fois où en transportant une ruche avec un ami, le fond de la ruche s’est détaché, laissant le champs libre aux abeilles paniquées de s’échapper. « Et tu fais quoi quand ça arrive ?! — Tu poses très doucement et TRÈS vite la ruche par terre et surtout, tu cours! »

Ce matin, on est parti ramasser des morilles au bord du chemin. Je n’en n’avais encore jamais goûté, et on s’est fait une omelette incroyable aux œufs d’oies et à l’ail des ours local. À 100 mètres de la maison, on entre dans la forêt ET dans le paradis de l’ail des ours…

On se sent bien ici, j’avais oublié la sensation de l’air frais, l’odeur de l’humus et de la forêt quand tu marches dans les bois, les chalets en bois, le ruisseau qui passe au fond du champs, le soleil de printemps, tout est sérénité et harmonie et c’est EXACTEMENT ce dont j’avais besoin… Je posterai des photos ici régulièrement, en plus de raconter (un peu seulement) ma vie. Merci de m’avoir lu <3

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