Que vous en ayez entendu parler pour la première fois via les deux articles précédents, ou que vous la connaissiez déjà, vous avez sans doute pensé qu’il serait intéressant de passer chez Steffie Brocoli. Bingo, j’ai eu la même idée (évidemment!).
Je suis donc allée toquer chez elle, à Porte de Bagnolet. Elle m’ouvre la porte, et quand elle me dit bonjour, c’est avec un sourire plein de malice. J’entre. Son appartement est spacieux. Normal: ils vivent à deux. Et à deux, quand on est freelance et qu’on travaille de chez soi, mieux vaut avoir un appartement confortable et suffisamment grand pour y installer un coin boulot. Ainsi, avec Sébastien Touache, ils se sont calés un petit coin écrans et tablettes graphiques, et derrière, une petite table, pour le bricolage et les travaux manuels.
On s’installe sur la petite table basse du salon. Il y a un joli soleil qui illumine les cheveux blonds de Steffie. Elle m’offre une tasse de café.
Mais d’où sort Steffie Brocoli? En fait, elle aussi, je l’ai croisé à Estienne. Très rapidement. Pas sûr qu’elle se souvienne de moi. Et c’était il y a quelques années déjà. Elle a fait un BTS communication visuelle, avant de demander le DMA illustration… où elle n’a pas été prise pour avoir oublié de joindre son dossier de travaux à sa candidature! Étourderie de la part de Steffie, peu importe: elle est finalement acceptée en gravure, et c’est pas plus mal. C’est même «hyper cool» me dit Steffie: «Je n’en serai pas là aujourd’hui si je n’étais pas passée par la gravure.»

(En haut: Paul Loubet; à gauche: Shoboshobo et Éditions FP&CF; à droite: Timothée Gouraud et Alizée Ducarme)
J’ai à peine commencé à relire mes questions préparées sur mon petit cahier que Steffie est déjà lancée: «Ça a commencé par mon livre: Il a neigé ce matin». Son premier livre, écrit et illustré en première année de DMA. «Tu le veux en quelle langue, parce que j’ai en japonais, en coréen,…»
Oui, en fait, Steffie est même traduite à l’autre bout du monde! Réalisé avec l’aide de Françoise Petrovitch, artiste et enseignante à Estienne et Jean-Luc Seigneur, ce livre a été édité chez Mango l’année suivant le diplôme de Steffie. «Je l’ai fais en première année de DMA gravure. Je suis allée aux rencontres DA [«Rendez-vous tremplin»] de Montreuil, je l’ai montré à Mango et l’éditrice m’a rappelé une semaine après pour me dire que c’était ok. J’ai signé le contrat et le livre est sorti en octobre, après mon diplôme que j’ai passé en juin.» Voilà, c’est pas plus compliqué de se faire éditer. Du talent, et surtout du culot.
Voilà Steffie éditée à la sortie de l’école: une trop belle occasion pour gagner en crédibilité et démarcher d’autres clients. S’ensuivent des commandes notamment chez Actes Sud Jeunesse et La Villette. Que de chemin parcouru, entre les premières publications où tous les dessins sont à la main et à la peinture, jusqu’à celles où Steffie décide de réaliser ses illustrations à la tablette graphique. D’un dessin au pinceau, aux traits et aux compositions maladroits, Steffie aboutie à des dessins qui semblent réalisés à la main, mais qui ont l’avantage d’être réalisés à l’aide d’outils numériques. Hé oui, la tablette graphique c’est très pratique: les compositions et gammes colorées sont bien plus élaborées, les traits sont plus précis. Autre avantage qui a son importance: c’est tellement plus rapide! La quantité de travail peut être assez énorme. «C’est drôle parce qu’à l’école tu as deux mois pour faire un truc, et là, on m’a appelé pour faire cinquante pages en un mois. ça me fait rire maintenant quand je me revois étudiante en train de râler auprès des profs comme quoi on nous donnaient trop de travail!»
Des projets non stop
Cinquante pages en un mois? Steffie a vu pire. C’est qu’elle est une illustratrice qui ne s’ennuie pas! Un quizz scientifique pour Milan Jeunesse, des DIY pour des magazines jeunesse, un kit créatif en feutrine chez Auzou, un livre de gommettes chez Mango Jeunesse… Je lui demande si ça lui arrive que l’éditeur soit contraignant. «En édition ce qui est cool c’est que l’éditeur vient te voir pour ton style graphique donc tu es assez libre. On m’envoie le texte, je fais deux images pour faire un test et voir si ça colle avant de me lancer dessus et c’est parti! Pour les commandes commerciales, les contraintes sont différentes. Il faut plus s’adapter à l’image de marque, travailler avec des couleurs imposées, et sur des sujets qui me sont moins personnels. Les commandes commerciales sont aussi bénéfiques, dans le sens où ça me pousse souvent à faire des choses que je n’aurai pas spontanément eu envie de dessiner. Ça me pousse à persévérer, alors que toute seule de mon côté je me serai dis «oué, non, c’est trop difficile, j’abandonne et je dessine un vase». Mine de rien, je pense aussi que c’est ce qui me fait progresser.»
D’autres projets sont ce qu’elle appelle ses «projets régal», des projets amusants, qui ne demandent pas trop de réflexion ou de correction de texte, comme ce livre de coloriages-géants pour Auzou qu’elle est en train de dessiner, ou des vrais projets d’auteurs qu’elle invente de A à Z en tant qu’auteur et illustratrice.
En fait, Steffie n’arrête pas. Elle a des projets à rendre pour avril, mai, juillet, des délais souvent assez courts pour l’ampleur de certains projets. Elle alterne les projets pour ne pas se lasser: «Même si ça c’est pour juin, c’est sûr que je vais commencer avant. Enchainer vingt pages de suite c’est horrible. Donc je fais une page, le jour d’après je vais bosser sur un autre projet, de toute manière je n’ai pas le choix: les deadlines imposent un rythme assez soutenu et je suis obligée de jongler sur différents projets en même temps.»
Des ateliers dans les écoles maternelles
Steffie part aussi en vadrouille pour faire des ateliers de fresques murales dans des écoles maternelle, comme celle réalisée en Auvergne grâce à une institution chargée de faire bouger la région en terme d’activités culturelles (le Syndicat Mixte de l’Aménagement et le Développement des Combrailles). En plus d’une véritable expérience humaine, ces workshops ont l’avantage de nourrir ses projets personnels: «Travailler avec les enfants, c’est vraiment super. Même si j’arrive avec un projet construit, des croquis, des intentions, le plus gros du travail réside dans le fait de bien guider les enfants. Tu leur expliques bien les choses, tu imposes quelques contraintes, et ensuite ça donne des choses géniales! Les enfants sont très instinctifs et pleins d’imagination, c’est une vraie source d’inspiration pour moi.»
Steffie ajoute en riant que les ateliers de peinture avec les touts petits, c’est un peu effrayant, et les enfants sont souvent trop jeunes pour être suffisamment à l’aise avec un pinceau: «Là, j’avais quand même des enfants entre 2 et 6 ans. A 2 ans, il faut leur expliquer comment tenir le pinceau avant même de leur dire ce qu’ils doivent peindre. Ils prennent le pinceau n’importe comment, quand tu leur dis qu’ils faut utiliser la main avec laquelle ils écrivent, ils te regardent avec des yeux de tortues et ne savent plus quelle main utiliser!»
Peindre en terrain
Steffie connait bien la peinture en terrain. Je lui parle naïvement de graffiti, elle me répond que «c’est un bien grand mot». «La peinture ça fait longtemps que j’avais envie de m’y mettre, mais quand tu es toute seule tu ne sais pas trop ou aller peindre, c’est un peu impressionnant.» Heureusement, Steffie rencontre Sébastien Touache, qui peint «en terrain» depuis dix ans et l’initie à cette pratique. «J’avais un peu la pression au début. Tu sors en terrain, toi t’as jamais peint sur un mur alors que les copains peignent depuis des années.»
Peindre en terrain, c’est la liberté de faire ce que tu veux, mais c’est aussi le défi de faire une peinture en une après-midi chrono. «Tu arrives en général à midi devant le mur, et à 19 heures, il n’y a plus de lumière, il faut que tu aies fait ta photo. Pour moi, c’est aussi moins contraignant que de peindre sur papier. D’abord parce que tu passes l’après-midi dehors avec les copains, tu prends un peu l’air et ensuite tu produis une image rien que pour te faire plaisir. Tu peux repasser la peinture à l’infini si tu te trompes, et de toute manière tu sais que ta peinture sera repassée quelques jours après.»
Mais peindre en terrain c’est aussi un peu la débrouille: «Tu composes avec ce que t’as en stock, des fins de spray, des pots de peinture trouvés dans la rue, remélangées à de vieux tubes d’acryliques ou à des colorants. Tu te laisse guider par les contraintes, les restes de couleurs, la texture du mur, et par tes propres erreurs, un trait pas très droit, une couleur, un trait qui tremblote. C’est ce qui fait tout le charme de la peinture en terrain pour moi: ne pas trop se prendre la tête.» Steffie ajoute: «Tu vois, un carré, un rond, un triangle, ça fait une sculpture, et ça suffit.» Et tant pis si ça coule ou si les contours sont mal fait. «C’est beau comme ça.» Ainsi, pour Steffie, le plus important est de passer du bon temps: «Si tu t’amuses et que t’es content ça se ressent forcément dans ton image, enfin je pense.»
L’exposition avec Dodo Toucan
Comme je parlais dans l’article précédent, Steffie a proposé à Sara Théron, créatrice de Dodo Toucan, de faire une collaboration. Tout a démarré après avoir visité le musée archéologique d’Héraklion en Crête, l’été dernier, avec son compagnon Seb. «On est parti là-bas en vacances et on a trouvé un musée qui nous plaisait énormément. On aime bien dessiner dans les musées. On l’avait fait un peu à New York, mais moi à l’époque, j’étais moins à l’aise. À Héraklion, j’avais dix planches de dessin en sortant du musée. On a du rester cinq heures sans s’en rendre compte, je ne pouvais plus m’arrêter de dessiner . Je me suis dis, ok, je les aime bien, mais qu’est-ce que j’en fais?» Steffie commence donc par réaliser trois petites affiches, une sélection de ses dessins préférés. L’idée, dans ces affiches, est de réinterpréter les premiers croquis. «C’est rigolo, tu peux voir comment ce croquis est devenu ce dessin-là, que celui-là s’inspire de celui-ci». Et comme Steffie adore les produits dérivés, elle a aussi imprimé les dessins de l’affiche sur des t-shirts.
Si Steffie a pensé à de la céramique pour son exposition, c’est aussi qu’elle était sensible à cette technique, ayant déjà fréquenté un atelier de céramique dans le passé. Voir tous les vases dans les musées lui avait redonné l’envie d’en faire. «Je voulais rentrer à Paris et chercher un atelier. Mais le problème c’est que je ne voulais pas un atelier pour prendre des cours, mais un atelier pour y aller et faire ce que je voulais.»
Un jour, Steffie tombe sur une interview de Dodo Toucan, où était citée cette petite phrase prononcée par Sara, quelque chose comme: «Si je dois résumer mon travail, ce serait la couleur, les motifs, et la maladresse». Une phrase que Steffie aurait pu dire: «J’ai tout de suite pensé à une collaboration. Je lui ai envoyé un mail en pensant qu’elle aurait sans doute autre chose à faire et puis finalement, elle m’a répondu qu’elle était partante. Je lui ai apporté mes croquis et mes affiches, on s’est demandé ce qu’on allait faire. Finalement, on a commencé par modeler chacune nos petits trucs. J’y suis allée sans idées préconçues, en me disant que j’avais vraiment envie qu’elle se les approprie, qu’elle les réinterprète avec son propre savoir-faire, ses couleurs, sa sensibilité. Je voulais qu’on se sente libre de les faire évoluer, de les rendre broc-dodo toucantesque!»
Cela fait maintenant deux mois que Steffie et Sara s’activent sur ce projet. Au départ, Steffie voit les choses en grand. Elle souhaitait une collaboration avec différents artisans, notamment des fabricants de tapis. Une idée trop ambitieuse: «Quand tu commences un projet, t’es enthousiaste, tu te dis aller, je vais trouver dix artisans parisiens,… et puis après le temps passe, et finalement tu te rends compte que tu n’auras jamais le temps de tout faire! Ce n’est pas non plus évident de trouver des artisans avec qui collaborer aussi «intimement» que nous avons pu le faire avec Sara et ça prend du temps.»
L’idée de dessiner dans les musées est un projet que Steffie souhaite continuer. L’exposition Muses et Musées serait ainsi la première d’une jolie série de collaboration. Un musée, Steffie Brocoli, des croquis, un artisan,… une exposition? Je ne m’en fais pas pour elle pour trouver des artisans aussi chouettes que Sara Théron avec qui collaborer.
En plus d’être une source d’inspirations importante, dessiner dans les musées est aussi un entraînement. «A l’école tu fais du nu toutes les semaines. Dans les musées, c’est aussi un vrai exercice. Mon prochain défi, et là, bon courage! c’est de me faire le hall de sculptures du musée d’Orsay. Mais je sais qu’il faut que j’y aille pendant toute une après-midi et ça demande un peu de courage et de persévérance. Au début c’est toujours tout pourri… En plus il y a les gens qui te regardent: ça met la pression alors qu’en vrai, ce sont souvent des gens qui ne dessinent pas, alors on s’en fiche!» Au final, on s’en sort toujours. Deux heure après, Steffie n’y fait plus attention. «Typiquement, il y a des croquis que je rate. Alors, je vais faire un tour dans le musée. Et puis je reviens vers ce tableau qui m’a trop plus, pour le redessiner parce que j’ai besoin d’en garder une trace, c’est le défi. Au final, j’y arrive! Tout est dans le mental, comme pour le sport! Tu t’échauffes, puis après tu tentes des performances, tu t’améliore, tu pousses tes limites.»
En plus d’un entraînement, dessiner dans les musées aiguise l’œil et permet de bien analyser la composition, alors que passer dix minutes à l’observer par le simple regard ne permettrait pas de s’en souvenir aussi bien. «Et c’est drôle, je me suis aperçu que j’avais dessiné la même reine, peinte par des peintres différents, et à des âges différents. Margarita de Ostria.» Et de constater avec malice qu’elle était plus jolie quand elle était jeune. Encore une chose à côté de laquelle elle serait passée si elle n’avait pas passé du temps à redessiner ces tableaux, et sans lire les cartels! «Parfois aussi tu dessines des trucs juste parce que c’est en face d’un banc et que tu es fatigué. Cela ne repose pas toujours sur des coups de coeurs ou de réels choix. C’est là, devant toi, alors c’est toujours l’occasion de s’assoir pendant dix ou quinze minutes et reprendre des forces!» A l’occasion de son exposition, Steffie collabore aussi avec LetterPress de Paris avec une carte imprimée en deux tons directs intitulée «Greetings from Paris, city of Arts » et présente sa toute nouvelle affiche grand format, éditée par Les Petits Collectionneurs et intitulée Mood Palace.
Cela fait deux heures qu’on discute, et il est temps que je file. Vous avez du voir passer quelques photos de l’exposition, dans mon article précédent. Cette entrevue a eu lieu avant le vernissage de l’exposition de Dodo Toucan et Steffie Brocoli à l’Atelier Nota, le 7 avril dernier. Maintenant que vous en savez plus sur son processus de création, vous avez jusqu’au 29 mai pour aller voir le fruit de cette belle collaboration! Et l’Atelier Nota, pour l’occasion propose aussi des ateliers broderie-coloriage, modelage et gommettes Mood Palace les samedis du mois de Mai. Le programme est en ligne sur le site de l’Atelier Nota!